[Prio Cookie]

Décidément, je ne regrette pas de m'être égaré si loin ! Personne pour me tomber dessus et de l'eau, à ça oui il y en a de l'eau. Les flots de la rivière me ronronnent à l'oreille, tandis que je virevolte sur les pierres qui trône en dehors du précieux liquide. Ce que c'est frais à la gorge, et agréable à laper ! A plusieurs reprises, je me baisse et en boit de quelque gorgées rafraîchissantes, le menton chatouillé par les roseaux. Ma crinière, longue et rebelle, trempe copieusement dans le courant, tant et si bien que quand je relève la tête, je m'asperge le front et une partie du garrot. Des gouttes s'écrasent une à une au sol, dans ce bruit cristallin que j'adore. On aura beau dire qu'être seul et loin des autres, c'est déprimant et morose, mais pour moi, c'est source de liberté. Et de plaisir aussi. Ce n'est que quand on est seul que l'on peut prêter une bonne oreille à la nature qui nous entoure. D'ailleurs, les miennes pivotent sans cesse, à l'affut du moindre bruit, du moindre clapotis. Dans cette rivière, aucune onde n'est plus forte ou plus violente que les précédentes. C'est un rythme harmonieux qui y règne, et la douceur de la mousse qui orne les rochers lui confère un aspect presque délicat et pourtant si sauvage. Toute sorte d'odeur m'emplissent les naseaux, certaines sont douces tandis que d'autres s'affirment, sont plus musquées. Certaines émanent des écorces d'arbres, d'autre des fougères ou du sol. Ici, l'atmosphère est plus léger que là d'où j'arrive. C'est agréable et déstabilisant, je me sent comme en apesanteur et j'ai l'impression de ne pas respirer. Pourtant, mes poumons s'emplissent de cet air nourri par la fraîcheur de la rivière. Tout est clair ici. Pas de canopée tout là-haut qui obstrue le passage de la lumière, pas de lianes que l'on ne peut compter tant elle s'entrelacent, pas de vieil arbre abattu qui abrite des insectes. Je me demande pourquoi je ne me suis jamais rendu là auparavant...

Soudain, quelque chose d'aiguisé me gratte le haut de la tête, parmi ma crinière. Agacé, je me met à la secouer frénétiquement. L'objet scintillant glisse de mon crin et tombe au sol dans la mousse. Heureusement que mon monocle ne se casse pas aussi facilement ! Je l'attrape et l'ajuste avec précaution à mon œil gauche. Je fais quelque pas jusqu'au bord de l'eau, en révisant la démarche ma démarche avec application. Après quoi, je m'affaire à la tache, arrangeant ma crinière afin d'éliminer le moindre frisotis, la moindre imperfection. Il n'aime que trop la perfection et la beauté extérieur. Pour la queue, c'est toujours plus compliqué, mais de jour en jour, j'apprends à me faire plus souple que je ne le suis. Les bracelets passent de la patte arrière à la patte avant, et me voilà Léopold. Qu'en apparence, tant mieux d'ailleurs ! Je ne me verrais pas penser comme un richou.

Je ne sais trop où je vais, mais je me fraye un chemin parmi les roches, dans l'espoir de trouver quelqu'un avec qui m'amuser un peu. Je marche un moment, assez longtemps, et mes efforts sont récompensés ! Voilà quelqu'un. Ça m'a l'air d'être une licorne, tiens. Je m'approche d'elle, le pas noble et plein de raffinerie, bien dans la peau du personnage. Du ton claironnant et pompeux que j'utilise avec Léopold, je lance :

« Bonjour à vous, chère amie ! Comment vous portez-vous ? »

J'ai tout calculé à l'avance, je fais glisser l'un de mes sabots sur le bord du rocher et SPLASH ! Me voilà dans l'eau. C'est le moment de mettre un de ses petits cacas nerveux en scène !

« AAAHHH ! je hurle, faisant mine d'être horrifié et me hâtant de sortir de l'eau. Je suis touché ! Quelle horreur, mon pelage, mon beau pelage ! Mes bijoux, je ne peux plus les garder, ils vont rouiller, rouiller ! JE VAIS FRISER ! »

L’eau du ruisseau était fraîche, pure et le courant fort et vif. Il n’y avait personne, ce qui était rare mais Cookie, s’avançant, décida d’en profiter un maximum avant que quelqu’un ne vienne la déranger. Car oui, une simple présence la gênait, ce n’était pas pour rien qu’elle était toujours seule, la plupart du temps du moins. Si on mettait de côté le fait que l’on pouvait tomber à tout moment sur des fauves -chose qui ne faisait pas peur à la licorne puisqu’elle avait sa corne pour se défendre- l’endroit était simplement charmant avec les rochers couverts de mousses, et la verdure environnante. Se penchant vers l’eau, Cookie but un long moment, ses crins blonds mêlés de mèches bleus comme les tâches de son corps elle savoura la froideur de l’eau qui coulait dans sa gorge, la rafraîchissant, étouffant sa soif. Lorsqu’elle releva la tête, elle observa, critique, son reflet dans l’eau. Elle n’y voyait rien à redire, et pourtant. Ses yeux bleus sombres se posèrent ensuite sur la rive opposée. Sans qu’elle eut besoin de plus observer les alentours ou de tendre l’oreille, elle sur que quelqu’un approchait. Cookie ne paniqua pas, reconnaissant le pas lourd d’un poney ou d’une autre espèce dans le genre bien sûr, un félin lui, aurait avancé en silence, marchant telle une ombre, évitant habillement tout mouvement brusque, tout bruits.

Le poney -non la licorne à en juger sa corne- qui arriva devant elle était sans doute l'être le plus étrange qu'il lui ait été donné de voir, à côté, même Inspiration, sa soeur, semblait être une personne parfaitement normale. Un léger sourire moquer se dessina sur ses lèvres tandis qu'elle observa la licorne arriver vers elle. Cookie observa sa façon de marcher, de se tenir, droit, noble, pompeux, faux. Tout ce qui ne lui plaisait pas tiens. Son sourire s'agrandit encore plus lorsqu'elle entendit « Bonjour à vous, chère amie ! Comment vous portez-vous ? » Cookie n'avait jamais été une bonne comédienne, aussi espéra t-elle du plus profond d'elle-même ne pas éclater de rire, se contentant de garder un air sérieux, une lueur vive brillant dans ses yeux. L'étrange inconnu s'avança encore jusqu'au bord du ruisseau. La mousse recouvrait les rochers, ce qui les rendaient glissant. Alors soudain, juste après qu'elle eut détournée le regard un bref instant, elle perçut l'éclat de l'eau que l'on heurte. Prenant tout son temps, elle tourna la tête vers la licorne et le découvrit trempé, l'air visiblement horrifié. « AAAHHH ! Je suis touché ! Quelle horreur, mon pelage, mon beau pelage ! Mes bijoux, je ne peux plus les garder, ils vont rouiller, rouiller ! JE VAIS FRISER ! » Sans dire un mot, elle se contenta de lui jeter un regard profondément perplexe, l'envie de rire ayant été remplacé par un ahurissement profond. Elle se demandait comment quelqu'un comme cela pouvait exister ici. « Quel dommage » commenta t-elle d'un ton neutre. Cookie n'aimait pas voir les débordements des autres, elle qui se contrôlait toujours si bien. « Mais ne vous inquiétez pas, les boucles ne changeront sans doute rien à votre... physique. » Elle soupira profondément, nom de Dieu, sur quel énergumène était-elle encore tombée?

« Quel dommage. » Dit-elle.
« Mais ne vous inquiétez pas, ajouta-t-elle avec un soupir, les boucles ne changeront sans doute rien à votre... physique. »

Je sourit intérieurement. Je la laisse perplexe, la demoiselle, ma petite comédie marche à merveille ! Comble de la chance, elle n'a pas l'air d'être copine avec les attitudes de gros péteux. Si seulement elle pouvait ne serait-ce que s'imaginer que je suis comme elle, que ce Léopold représente tout ce qui m'exaspère ! Mais il est si drôle de se fondre dans sa peau, de deviner la perplexité de ceux que je rencontre sur ma route. Tout ce cinéma n'est qu'une illusion. Mais ils ne le savent pas, ils ne le sauront jamais d'ailleurs. Le jeu est bien trop amusant pour s'arrêter là.

Après quelques derniers cris qui, si je n'avais pas été habitué à repousser les limites de ma voix, m'auraient valu un rude mal de gorge, je me calme enfin. Je pousse un soupir, court et un peu ahuri, et me remet droit sur mes pattes. J'ausculte mon pelage avec des yeux plein de dégoût à la vue de toute cette eau, m'ébroue et tente tant bien que mal de m'arranger, dans un affolement digne d'un poney qui vient de rouler dans du goudron. Je me plaque la crinière sur le crâne comme pour les empêcher de s'envoler, dans un désespoir que je veux lamentablement stupide. Je rajuste mon monocle plein de buée qui s'est pratiquement retourné, je m'y prend à trois fois alors qu'une seule aurait suffit. Je plaque littéralement mes bracelets sur ma lunette, à la recherche de la moindre trace suspecte de rouille. C'est de l'or.

Après d'interminable minute à me pomponner, je relève la tête vers l'inconnue, l'air peu concerné par le temps que je lui fais perdre. Je reprends mes mimiques de toujours, et adopte un visage faussement raffiné, proche du ridicule.

« Il y a boucles et ondulations très chère, imaginez que ma belle chevelure prenne du volume ! » Je déclare de ce bon vieux ton pompeux, ponctuant mes dires en me recoiffant encore. « J'espère ne pas avoir de plaie, avec toute cette eau dégoutante, je risque l'infection ! »

Après moult jérémiades, je m'accroupis afin de m'assoir sur le rocher moussu. Bien entendu, je fais mine de ne pas m'être rendu compte que la surface lisse est recouverte de verdure ! Au contact frais de la mousse, je bondit immédiatement, en poussant un petit cri bref et aigu. Je fais volte-face et et regarde droit là où mes fesses auraient dû se poser, donnant l'impression d'avoir vu le diable en personne. Puis je me retourne en m'éclaircissant la voix de façon distinguée, comme si rien de tout cela ne s'était passé.

« Mes respectueuses salutations, gente dame. Mon nom est Léopold. »

Cookie le fixa encore, masquant de mieux en mieux sa surprise, et sa peine aussi. Car bon, c’était évident qu’il avait une case en moins. Elle lui adressa un magnifique sourire, s’exhortant de jouer aussi la comédie, de ne rien laisser transparaître de ce qu’elle ressentait vraiment. La licorne poussa encore quelques cris et un bref instant, Cookie pensa qu’il devait sûrement avoir mal à la gorge après cela. Mais visiblement non. Un habitué? Il scruta chaque centimètre de sa peau pour voir si tout allait bien, avec une moue de dégoût, qui étrangement, lui fit énormément plaisir. Pour être ridicule, ça, il l’était, et il ne savait sûrement pas à quel point. Enfin, elle remarqua le monocle qu’il dut remettre correctement plusieurs fois, et ses bracelets… d’or. Là, elle manqua d’éclater carrément de rire, mais pas d’un rire joyeux, loin de là. L’or ne rouillait pas. « Il y a boucles et ondulations très chère, imaginez que ma belle chevelure prenne du volume ! » Elle dut se mordre pour s'empêcher de répondre d'un ton encore plus pompeux qu'elle n'en avait rien à faire, mais ne le fit pas, se contentant de hausser les épaules d'un air profondément navré, désolée de son "ignorance". « J'espère ne pas avoir de plaie, avec toute cette eau dégoutante, je risque l'infection ! » Son sourire s'agrandit encore plus, et cette fois-ci, elle n'hésita plus. Imitant parfaitement sa voix, son ton précieux, elle répliqua « Oh mais quel domaaaaaaaaage. Heureusement pour vous très cher, cette eau est pure aussi vous n'avez pas à craindre l'infection. » Puis l'instant d'après, elle remarqua qu'elle disait beaucoup "quel dommage". Peu lui importait au final. Il commença à s'assoir sur la mousse, puis remarquant sans doute que c'était humide, donc, sale? Il bondit aussitôt en continuant à pousser ses petits cris aigüe qui commençait à faire mal aux oreilles de Cookie. « Mes respectueuses salutations, gente dame. Mon nom est Léopold. » Là, ç'en était trop et Cookie ne put retenir de longs éclats de rires qui la prirent soudain, la faisait hoqueter. Elle s'arrêta au bout d'un moment pour reprendre sa respiration, et le souffle court, fixa Léopold. Rester calme, se contrôler. Elle inspira profondément, souriante, de bonne humeur. Il se fichait d'elle, c'était impossible. Il ne pouvait en être autrement. « Et moi Narcisse. » mentit-elle habillement en fixant Léopold droit dans les yeux.

Ses prunelles luisent d'amusement mais aussi, d'une certaine pitié à la vue de mes manières. Je lui casse les oreilles, je lis bien dans ses yeux qu'elle me prend pour un cinglé ! Et visiblement, je l'ai vraiment poussée à bout car la voilà qui éclate de rire ! Elle hoquette, manque bientôt d'air, et moi je fais l'outré, l'indigné qui observe sans mot, comme s'il n'y avait pas de quoi rigoler, les yeux écarquillés qui clignent d'incompréhension.

« Je ne vois pas ce qu'il y a de drôle ! » Dis-je, très sûr de moi.

Elle inspire de grandes bouffées d'air, pour ce calmer de sa joie j'imagine, mais je vois bien que c'est dur pour elle. Elle plante ses orbes bleu profond dans les miens, toujours éberlués.

« Et moi Narcisse. »

Tiens donc, Narcisse hein ?
Aussitôt, ma mine outragée s'efface, au profit de la bonne vielle moue pompeuse. Je m'incline dans une révérence digne et convenable, si prononcée que je frôle presque le sol de mes naseaux. Mais je ne le touche pas, par chance pour les oreilles de Narcisse je dois dire ! Je me relève dans un mouvement élancé et théâtral, la crinière rejeté en arrière dans un bruissement léger. Mes bijoux teintent et mon monocle manque de s'envoler. Je lui adresse un sourire, bien qu'un peu coincé. Elle me fixe droit dans les yeux.

« Je suis enchanté ! »

Je scrute le rocher sous mes pattes et aperçoit une petite parcelle dénuée de mousse. Je m'en approche avec des précautions presque comiques, la débarrasse des particules microscopiques qui pourrait nuire à ce pauvre gars à l'aide du bout d'un sabot, et m'y assoit. Tant de cinéma pour poser son derrière, ça n'allait en devenir que plus ridicule ! Tant mieux, c'est le but recherché. Je souris triomphalement en mon for intérieur.

J'enlève mes bracelets qui orne ma pattes gauche, les saisit entre deux sabots et les regarde de la même façon que je l'ai fais il y a une minute de cela. Je m'exclame :

« Ça y est, ils commencent à rouiller, je le savais ! »

Puis je m'essore la queue, qui est restée humide. Des gouttes d'eau s'en échappent à son extrémité et je la tend loin, très loin de moi, comme pour éviter de me faire toucher par de l'acide. Alors que je m'affaire avec application, je me passe la langue sur les lèvres dans une grande concentration.

« Si je puis être indiscret, j'entame au culot, qu'est-ce qui vous amène ici ? »