Je n’étais encore jamais sortie des terres nordiques. Je ne connaissais que le magnifique paysage glacé et figé sous cet épais manteau blanc. Même si je me sentais totalement chez moi entre la grosse meringue et les immenses chutes d’eau, il fallait que je bouge. Ce besoin était ancré au plus profond de moi, inscrit des mes gênes. Le changement, c’est ce qui rendait ma vie plus palpitante. Je la sentais poindre cette pulsion, ce désire violent qui guidait mes jambes ailleurs. La tête haute, le pas vif malgré la neige qui ralentissait ma progression, je partis vagabonder. Cet appétit de découvrir me rongeait les entrailles. Je mourrais d’envie de mettre mon nez partout, de faire découvrir à mes petits yeux le monde qui se cachait derrière les montagnes.

Je foulais enfin l’herbe douce et fraiche de la forêt. L’air était doux ici, une brise agréable faisait voleter quelques mèches de ma crinière. Jamais je n’avais vu autant d’arbres dans un même endroit. C’était très impressionnant. Leurs branches centenaires se mêlaient parfois entre elles, offrant une protection naturelle contre le soleil et une luminosité enchanteresse. Je levai la tête en fermant les yeux pour m’imprégner totalement de l’ambiance que dégageait l’endroit, m’attendant presque à voir surgir un petit farfadet.

Je fus coupée net dans mes pensées par mon ventre qui émit un bruit de fin du monde. C’est que ça faisait un sacré bout de temps que je ne m’étais rien mis sous les quenottes. Je grattai un peu le sol du sabot. Cette herbe ! Mon dieu cette herbe ! Qu’elle avait l’air appétissante et juteuse. Je ne me fis pas prier et arrachai une touffe que je mâchai avec frénésie. Un pur délice et…oh ? C’est quoi ça ? Je dressai les oreilles en apercevant une petite bête étrange butinant une fleur bleue. Doucement, j’approchai mon nez vers ses ailes colorées et sursautai quand elle prit son envol. Je m’élançai derrière elle au petit galop, trébuchant parfois sur un caillou ou une racine.

J’atterris dans une clairière, devant un arbre bizarre qui me regardait. J’avais l’impression qu’il me jugeait avec ses deux grands yeux froids, immobiles à jamais. Pendant un instant, je tournai autour de lui en observant son feuillage turquoise. Je reniflai l’écorce et posai les sabots avants sur le troncs pour essayer vainement de gouter une feuille.

Quoi qu’il en soit, cette petite course poursuite après l’étrange insecte ailé m’avait fatigué et, le trou béant dans le tronc de l’arbre avec des yeux me parut être un bon endroit pour se détendre. Je me hissai à l’intérieur et constatai qu’un tapis de mousse ornait le sol, offrant un lit moelleux. Je m’allongeai là, en croisant les pattes avants et regardai la bestiole volante tournoyer dans les airs avec des êtres de son espèce.

Je pose doucement la tête sur mes pattes et ferme les yeux. Si seulement je pouvais rester toujours ici, dans ce nid moelleux qui épouse parfaitement les formes de mon corps. Je me sens comme dans un petit cocon tout chaud duquel je ne sortirais pour rien au monde. L’odeur de la mousse fraiche mêlée aux sons mélodieux de la forêt m’amènent vite dans un état de somnolence béate. Cette nature inconnue et pourtant si familière me berce en son sein. Dans mon esprit se forment de mélancoliques images d’un automne du passé où je trottais dans une clairière sauvage. A ces souvenirs s’enchainent des rêveries où je me vois entourée de paysages verdoyants aux arbres accueillants et à l’herbe grasse. Je suis totalement endormie maintenant. Dans mes songes, je sens le goût sucré des brins d’herbes sur mes papilles, l’eau fraîche d’un petit ruisseau étincelant couler doucement dans ma gorge.

Un bruit m’arrache aux bras de Morphée. Je n’ouvre pas les yeux, ne sachant pas si j’ai rêvé ou non. Je tends juste une oreille. Saperlipopette ! Ce n’est pas mon imagination qui me joue des tours, j’entends bel et bien des brindilles craquer. Quelqu’un vient ? Je sens une petite inquiétude me ramper dans l’estomac. C’est que je ne voudrais pas me retrouver nez à nez avec un loup moi. J’ai été sacrément imprudente de m’aventurer ici toute seule. Je me relève et me réfugie tout au fond de ma cachette. C’est peut-être un autre poney après tout ? Mais pourquoi avancerait-il si doucement ? Non, c’est forcément une méchante bestiole qui trouve que j’ai une bonne tête de casse-croûte.

Devant plus fort que soit, il faut savoir bluffer. Impressionner l’adversaire. Un bon hennissement combatif et j’en connais un qui appellera sa maman ! J’inspire et expire profondément plusieurs fois de suite, jusqu’à ce qu’ « il » soit assez près. Allez, courage ma petite Saly ! Je bondis de ma cachette et atterris lourdement sur le sol, les membres postérieurs légèrement écartés. Les oreilles baissées et les yeux fermés, je pousse un puissant hennissement visant à effrayer mon prédateur.

Prête à détaler, j’ouvre les paupières pour faire face à un….un poney ?! Je sens ma mâchoire qui se décroche sous l’effet de la surprise. Pourquoi dois-je toujours passer pour la dernières des illuminés quand je rencontre quelqu'un ?

"-…Je...j"ai cru que tu étais un...un loup. Désolée. Dis-je un peu honteuse en secouant lentement la tête"