[ordre de poste :Thalia - Apo - Moi ]

Voilà déjà de longues heures que je tournais en rond dans cette fichue caverne qui avait eu le malheur d’être inondée. L’eau était profonde seulement vers les profondeurs de la grotte : je me débrouillais pour en avoir toujours jusqu’au niveau du bas des côtes : j’adorais sentir l’eau mousser délicatement le long de ma robe légèrement boueuse. Cela faisait quelques jours que je n’avais pas pris la pluie : mes crins étaient emmêlés, crottés de tout ce que j’avais vécu ces derniers jours. Terre, fleurs, insectes, tout y passait. Je m’étais plongée dans cette eau ma foie très agréable, laissant tout cela se décoller lentement. L’eau n’était pas transparente, mais d’une délicate couleur beige, un peu comme du sable. Le fond de l’eau était lisse, comme de la pierre : heureusement pas coupante. Une légère lumière s’échappait du sol, sans toutefois illuminer l’endroit. Une pénombre intime régnait.
Des voix résonnèrent dans l’habitacle. Niveau lumière, parfait, mais niveau discrétion, on pouvait repasser. Je me mouvais dans cette eau tiède comme un poisson dans l’eau. Le plus silencieusement possible, je m’approchai des deux voix. Après inspection, l’une était masculine tandis que l’autre était féminine. Un peu trop aiguë pour la seconde. Je n’arrivais pas à comprendre ce qu’ils disaient. Je m’approchai encore un peu, jusqu’à déboucher dans une grande poche, où les vapeurs chaudes étaient piégées : la température monta d’un cran. « - Bonjour vous deux ! » Ils ne me semblaient pas forcément antipathiques, avec leurs couleurs légèrement… étonnante. L’étalon n’était pas forcément laid, avec sa crinière multicolore aux innombrables reflets.

« Tiens, une nouvelle ! Est-ce que je ressemble à une "CHOSE" ? » La jument sautillait presque sur place. Pire, elle semblait bouillir. Elle me demandait si elle ressemblait à une chose ? Légèrement maladroite, je ne savais pas forcément comment lui répondre. « - Je… Je ne sais pas ? Non ? Mais… techniquement, nous sommes tous des… erm, choses, donc, si nous faisons la parallèle… nous pourrions effectivement te considérer comme… une chose, oui ? » Je sus instinctivement que j’avais répondu à côté lorsqu’elle hurla dans la grotte que non, elle n’était pas une chose. Quelques pierres tremblotèrent au dessus de nos têtes.
Le mâle prit la parole avant que je ne puisse répondre quoi que ce soit. Il me salua en me demandant mon prénom. « - Enchantée, je suis Louve. Et toi ? » Je me raclai la gorge, légèrement mal à l’aise avec de duo d’énergumènes. Les ailes repliées sur mon dos, j’essayais de ne pas trop frôler les parois, encore sous le choc de l’éclat de colère de la ponette grise. « - En tout cas, tu as de la voix… avouai-je à cette « chose ». » Ou était-ce son nom ?

« - MECHANTE ! hurle la ponette sans nom. » Je la regarde s’énerver, secouer sa crinière et entamer sa marche pour repartir. Perplexe, je la regardai s’en aller, ne sachant pas vraiment comment rattraper le coup. « - Reviens ! Je ne voulais pas être méchante, je te promets… » Le poney ne perdit pas le nord, et se présenta à son tour. Apollon ? « - C’est un joli prénom. Sais-tu pourquoi tes parents t’ont appelé comme ca ? En tout cas, je vais bien et toi ? Même si je me sens un peu coupable… J’ai fais fuir mademoiselle… Je baissai d’un ton, pour reprendre : Elle s’appelle Chose ou j’ai raté un épisode ? » Je ne voulais évidemment pas qu’elle m’entende, de peur qu’elle ne s’énerve à nouveau. Je posai un regard contrit sur le pauvre Apollon qui n’avait certainement rien demandé. « - Je ne voulais pas vous déranger, hein… » Oui, on m’avait déjà dit que je parlais trop, seulement cela ressemblait à un automatisme. Non pas que j’aimais pas le silence : disons juste que j’avais un don pour dire des choses inutiles.

Apollon m’expliqua que son patronyme signifiait Enfant Béni. Je souris lorsqu’il parla de la déception de ses parents. Pourquoi m’avait-on appelée Louve ? Mes parents n’étaient pas forcément des dieux en ironie, pourtant c’était bien un bel oxymore. Je n’avais jamais combattu, je n’avais jamais touché un équidé autre qu’amicalement. Je n’avais rien à voir avec ces monstres faits de crocs et de griffes, violents, tueurs et carnivores. Non, décidemment, à part peut-être ma couleur grise, rien ne me rapprochait de ces canidés assassins.
Apollon m’expliqua qu’il ne connaissait pas du tout son prénom : en somme, qu’il ne la connaissait ni d’Ève, ni d’Adam. Il expliqua qu’il l’avait vue surgir de l’eau, et qu’elle avait mal interpréter ses propos. Puis, devant mes plates excuses, il expliqua que je ne le dérangeais pas. Un sourire fendit mon visage, tandis que j’entrais un peu plus dans la caverne. « - Cela fait longtemps que tu es ici ? Je veux dire, sur Cloud Nine ? » Je regardai une dernière fois dans le tunnel qui ressemblait à l’entrée, voulant être sûre que Chose était partie, ou non. Je me sentais légèrement mal pour elle. Cependant, elle n’avait qu’à pas être si susceptible ! Tant pis. Apollon disait que ce n’était pas de ma faute, qu’elle ne s’était pas levée du bon pied ce matin. Je préférais le croire plutôt que de me morfondre pour une inconnue désagréable. « - Oh, tu as des ailes, toi aussi ! » Je m’étais habituée à la lumière tamisée, et je pouvais désormais voir ses deux grandes ailes grises. Contente de rencontrer un pégase, je bougeai les miennes lentement sous l’eau pour lui montrer les miennes.

Nous nous enfonçâmes lentement dans la caverne, faisant presque abstraction du monde extérieur. Certaines personnes étaient faites pour être amis, je le savais depuis longtemps déjà. Certaines âmes devaient se rencontrer, se côtoyer jour après jour, faire connaissance, apprenant toujours un peu plus l'une sur l'autre, ne tarissant jamais leurs bavardages. Certains sentaient un courant agréablement chaud les parcourir lorsqu'ils rencontraient ce qu'on appelle des âmes-soeurs. Pas forcément amoureuses, bien qu'elles le soient la plupart du temps, ces fameuses soeurs pouvaient tout aussi bien être de sexes opposés. Je n'avais encore jamais rencontré d'âmes de ce genre, mais je savais qu'Apollon en faisait partie.
Il reprit la parole, coupant mes pensées dans leur élan. Je n'étais que la deuxième personne qu'il rencontrait. J'avais déjà certainement rencontré une demi-douzaine de personnes sur cette terre qui semblait étrangement peuplée ! « - Je suppose que la première est... euh, la jument qui est partie en courant, vexée. Moi ? Non, pas vraiment. Une grosse semaine, peut-être un peu plus. Disons juste qu'on perd facilement la notion de temps lorsque l'on se trouve sur ces terres, tu ne trouves pas ? » Compter en ''gens'' pouvait être une bonne idée, puisqu'on ne pouvait pas vraiment compter les jours. Ou en tout cas, je n'avais pas l'intention de tenir un calendrier à jour. « - Tes ailes sont magnifiques ! Arrives-tu à voler ? » Si le mâle avait pu le voir, j'aurais rougi. C'était bien la première fois que l'on me disait que j'avais quelque chose de beau. Mon coeur se mit à tambouriner, et mon ventre fit un looping. Décidément, qu'est-ce qu'il faisait chaud dans cette fichue grotte ! Je regardai mes sabots, patraque, faisant semblant d'admirer mes ailes grâce à la réfection de l'eau. Se fichait-il de moi ou trouvait-il vraiment mes ailes jolies ? Je repris mes esprits, me rendant compte qu'il m'avait posé une question. « - Oui, j'ai réussi à faire quelques vols. Je n'arrive cependant toujours pas à atterrir je manque de tuer quelqu'un à chaque fois ! soupirai-je. - J'aurais bien aimé te montrer, la voûte est assez haute, mais je ne sais pas si mes ailes sont opérationnelles avec toute cette eau. Et toi ? » Je me tus, consciente que je parlais la plupart du temps beaucoup trop pour les gens. Je me hissai sur la pointe de mes sabots, sortis mes grandes ailes de l'eau chaude, les ébrouai en prenant soin de ne pas éclabousser le pauvre mâle, et commençait à évaluer les risques que je pourrais prendre si jamais j'essayais de voler malgré mes plumes trempées. Comme celles des canards, elles ne semblaient pas avoir vraiment pris l'eau, ni être vraiment rouillée. Je lançai un regard interrogatif au mâle gris.

Je hochai lentement et négativement la tête. Je pris une grande inspiration, battit nerveusement des ailes au début, poussai sur mes postérieurs, arquai l'encolure, et jaillis de l'eau comme une étoile filante. Mes ailes se stabilisèrent en vol, perdant quelques rares gouttes d'eau qui retombaient bruyamment sur la surface aqueuse. J'évitai plus ou moins habilement les quelques stalactites qui cherchaient à me barrer la route. J'éclatai de rire, aimant la sensation de n'être plus qu'une plume dans ce monde de poids. « - Suis-moi ! C'est tout simple, tu vas voir ! Bats juste un peu des ailes, pousses sur tes membres et le tour est joué ! » Je m'élevai encore plus haut, cherchant à trouver le plafond de cette caverne. L'eau chaude et nos corps dégageaient de la vapeur chaude qui se cognait contre la pierre. J'avais l'impression d'être dans un sauna. Une pellicule de sueur se déposa sur mon corps, alors que je ne faisais que très peu d'efforts. Je hennis, indiquant ma position par la même occasion à Apollon. Si cette caverne relevait en réalité de galeries souterraines, le haut de celles-ci était juste merveilleux ! La roche semblait polie par les incessants va-et-viens de l'eau qui avait creusé la terre. Au bout d'un moment, je me rendis compte que j'avais la tête qui tournait. « - Apollon ? » Était-ce réellement un battement d'ailes que j'entendais en bas ? Le mâle allait-il se mettre à essayer ses nouveaux membres, chèrement payés ?